Des clous - Okice.ch

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Des clous
Dans une entreprise spécialisée dans la construction, un ingénieur reçut le mandat pour la construction d'un clou spécial. Il fit un devis, puis il prit sa règle à calculs, il étudia et conçu l'objet demandé par son client.
Il transmit son esquisse au dessinateur qui la mit en forme sur sa planche à dessin. Après contrôle, le plan fut transmis à  l'atelier pour sa construction. Le clou terminé, un monteur le plaça chez le client à l'endroit prévu. Suite à cette fabrication,  la demande fut tellement importante que la fabrique engagea du personnel pour faire face.
Quarante ans plus tard, l'évolution de la fabrication, l'informatique, les nouvelles conceptions de travail ont nécessité l'engagement de managers afin d'améliorer la rentabilité de l'entreprise. On a commencé à parler récession, restructuration, on a fait une évaluations des besoins. Alors, pour diminuer la masse salariale, on a débauché les monteurs, les dessinateurs, étant entendu que l'on sous-traiterait la fabrication. Pour améliorer le gain des actionnaires, on engagea des consultants en réorganisation d'entreprises, les employés furent mis au chômage.
De cette manière, on exporta le problème financier de la fabrique sur le dos de l'État et on se frotta les mains...

Questions : pourquoi l'État ne réagit pas à cet état de fait ?
Au lieu de diminuer les prestations de chômage, ne pourrait-on pas intervenir envers les managers et les actionnaires? A moins que les politiciens soient aussi des actionnaires...
Et le clou me direz-vous?
Les managers, eux, restèrent bien sûr. L'un d'eux prit contact avec les clients cités plus haut et les informa que pour une  question de sécurité, il fallait remplacer les clous construits en 1960 au plus vite: ils avaient été mal conçus, ils n'étaient plus adaptés, ils allaient casser incessamment. Il était donc urgent de les remplacer.
Les clients, étonnés, se dirent que s'ils ne voulaient pas avoir de pépins, il leur fallait bien changer ces clous. Aussi  donnèrent-ils mandant pour ce travail.
Aussitôt dit, aussitôt fait... ou presque! Le nouvel ingénieur, ayant suivi un cours de management au cours duquel il avait appris à déléguer, engagea un ingénieur spécialiste en clous qui, lui aussi, avait "fait" du management. Alors, celui-ci engagea un technicien qui avait également suivi ce cours, et qui délégua son travail au dessinateur qui, lui, n'avait pas suivi le cours et n'avait donc personne à qui déléguer. Alors,il se mit devant son ordinateur et dessina le nouveau clou qui a été redimensionné selon les dernières données techniques.
Le dessin a été remis par voie de service au technicien, qui a pris rendez-vous avec ses supérieurs, afin de faire une séance technique sur l'évaluation du prix, les demander d'offres, l'incidence financière pour les clients, de la construction du nouveau clou.
Pour mettre en évidence la responsabilité de chacun, il a fallu engager une secrétaire pour taper les PV.
Les semaines, les mois passent, nous en sommes aujourd'hui au 572e PV, la décision de produire les nouveaux clous n'a toujours pas été prise...
Conclusion : après 40 ans de service, les vieux clous sont toujours opérationnels.
Moralité : hier on agissait sans discuter, aujourd'hui, on discute sans agir. Il y a sûrement un juste milieu à trouver...

Quotidien "L'Impartial" du 19.11.02 - Rubrique : La Tribune des lecteurs
Roger Lavanchy - Peseux

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